De mon enfance, j’en garde des bons souvenirs. A l’école à Aleu, on était 40 élèves, on y allait à pied en sabot, cartable en bois. Les veillées, c’était magnifique! On apprenait des choses des vieux temps, des vraies histoires et d’autres qui faisaient peur. C’est l’endroit où on était conseillé si il y avait des problèmes …
On vivait du travail de mon père maçon. Ma mère faisait le blé, le maïs, les patates, on avait des poules et un cochon. Il n’y avait pas d’argent de côté. Le soir après l’école jusqu’à 12 ans, j’aidais ma mère. Ensuite en 36, je suis parti en pensionnat jusqu’à 16 ans et suis sorti menuisier. Avant la rentrée, on était 20 à aller faire les vendanges, c’était comme des vacances.
Au village, toutes les maisons étaient ouvertes. Il y avait un forgeron, une sage-femme, 4 bistrots, un restaurant… Tout le monde travaillait au champ ou faisait le commerce de la pierre à faux. Ils partaient à Pâques et revenaient le 14 juillet. Dans chaque maison, on tuait le cochon…
1939, c’était la zone libre avec domination allemande. J’avais un travail à Boussens mais les allemands nous ont renvoyé à la maison, donc on a repris la ferme par obligation. J’ai ensuite été mobilisé pour travailler dans les Landes, puis j’étais réfractaire pour ne pas aller en Allemagne. Après m’être échappé dans les bois, je suis revenu à Aleu pour faire le charbon. Les américains ont débarqué, on a été appelé à Toulouse et on est monté en Allemagne dans une base américaine. Quand j’ai été démobilisé, pas de sous! Un ami à Aulus qui partait aux Etats-Unis m’a proposé de me faire venir là-bas une fois installé. Pendant un an, il s’était engagé à être responsable de moi au cas où il m’arrivait quelque chose.
En 1951, je partais donc pour faire des sous (1$ = 150 Francs) à New York où on gagne dix fois plus qu’en France. La 48, 49 et 51 avenue étaient les rues où on parlait le patois ariégeois. On n’était pas dépaysé. J’y suis resté pendant 20 ans en travaillant comme boucher pour les grands restaurants dont la compagnie Hilton. On savait travailler dur. On travaillait même le week-end. On était là pour ça. On n’avait pas les veillées mais on se rencontrait tous au bar. Je garde de bons souvenirs de toute cette époque. Mon aide manquait à la famille sur la ferme avec mon père qui était blessé de guerre. Je suis revenu 2 fois en 20 ans mais je voyais mon frère pilote qui venait de temps en temps.
Je suis revenu en 1970 pour soigner ma mère, mon père et ma tante. J’aurais pu repartir car j’étais résident aux US, mais il fallait repasser toutes les visites médicales, recommencer tous les papiers à 0. Pourquoi tout recommencer? J’avais une maison ici. J’ai repris la ferme de mon père pour avoir les droits français, l’assurance maladie, et j’ai arrangé des granges et des maisons. J’ai eu la chance de consolider ma retraite de travailleur avec les points achetés à l’étranger. J’ai 2 retraites françaises (agricole et ouvrière), et 2 retraites américaines (une privée et celle du travail).
A mon retour, c’était toujours pareil à Aleu, rien n’avait trop évolué. Les jeunes sont partis, quelques maisons ont été arrangées. Aux Etats-Unis, quand on est à la retraite, on s’éteint tout doucement, il n’y a rien à faire, alors qu’ici c’est autre chose, on a la famille, on retape les maisons, et ce qu’on fait va à la famille. Ici, on sait travailler la terre. Les nouveaux arrivés n’ont pas ce savoir-faire. Je les laisse faire à leur manière.